Ca va etre dur de resumer 1 mois de vie inedite au fin fond de la foret amazonienne du Perou mais on va essayer. Tout a commence le dimanche 24 aout, embarquement a la tombee de la nuit a bord d'un vieux tas de feraille: le KIKE, musique latino a fond et hamacs entre-croises dans tous les sens. Le responsable de l'immigration s'est fait attendre jusqu'a la derniere minute et le depart de la petite ville de Santa Rosa en face de Tabatinga (cote Bresil) et de Leticia (cote Colombie) a ete un vrai soulagement.
Tranquillement, Nous remontons la puissance du courant du rio Solimoes ou Amazonas en direction de la ville de Iquitos. De chaque cote se dresse la jungle d'ou emmerge parfois des maisons piloti-toit-de-palme. 2 nuits (assez difficiles, envahis par les passagers et balottes dans les hamacs) et 2 jours avant d'arriver a la ville relais dont l'activite a la descente du bateau a projette Jul au milieu du village d'Asterix et Obelix.
C'est la ville de Sergio le pecheur notre guide en herbe. Il connait le rio comme sa poche car c'etait son terrain de peche. Apres une nuit hamac-moustiquaire dans une petite maison flottante d'un de ses vieux pote, nous sommes partis jusqu au fin-fond du rio pour rejoindre le dernier village accessible avec notre pec-pec, petite barque a moteur de mobilette trafique, une specialite dans toute l'Amazonie. Le niveau de l'eau etant au plus bas a cette epoque de l annee, des arbres en embuscade dans le cours du rio menacent de nous renverser a tout moment.
7 heures assis sur une planche a la rencontre de la nature presque vierge des animaux, papillons bleus et oranges, martin-pecheurs, aigles, perroquets, dauphins gris et roses pour arriver enfin a notre toute premiere destination, Ancon Colonia ou nous sommes restes 12 jours. C'est un tout petit village Bora, reduit au minimun, 5 maisons piloti-toit-de-palme,1 maloca et 1 terrain de foot.
La maloca est une grande maison ronde. Le sol est en terre-battue, les murs en bois et le tres haut toit de palme descend plus bas qu'une hauteur d'homme. Elle peut reunir plusieurs villages lors des fiestas et accueillir les etrangers de passage comme nous. Elle est traditionnellement habitee par la famille du chamane (ici on dit Curaca) qui est la plus haute autorite du village, s'imposant par sa connaissance des plantes, histoires, rituels, chansons et par sa sagesse.
Dans un coin de cette maison communale trone un instrument de musique mysterieux dans son hamac de cordes: le Manguare, un ensemble de deux tambours a fente, l'un femelle et l'autre male qui servent a parler a tout le village, aux villages voisins et aux esprits. On peut recreer toute la complexite du monde en sons avec un male et une femelle...
On nous racontera aussi plus tard
chacun de ses tambours a fente etait un etre humain qui
s est fait arbre. Que ses deux tambours sont les deux
pieds de l'Univers... Que l'on inaugure chaque nouveau
tambour avec l'eclair...que son histoire est liee a la
naissance de la langue Bora. C'est principalement pour
cette raison que nous avons fait le deplacement jusqu'au
fin fond de la jungle du Perou.
Ici les choses sont un peu bouversees, le chamane complique a brule sa Maloca et c'est Fermando un metisse bora de colombie qui en a reconstruit une avec l'aide du Curaca du village voisin (plus puissant et issu d'une vrai famille de chamane) en s'appliquant a faire revivre les traditions. Chaque partie de la Maloca est erigee en harmonie avec la terre. L'elevation de poteaux ou bien la peinture interieure ne peut se faire que si toutes les etapes precedentes ont ete franchies et si une fete est organisee par le proprietaire. Il semble tres interesse par notre projet.
Nous installons nos hamacs sur une mezzanine de bois. Les journees sont tranquilles, grace mat jusqu'a 6 heurs (tout le monde se leve au moins 1 heure avant…), petites besognes quotidiennes : toilette et lessive dans le ruisseau qui coule derriere et qui sert a la vaisselle de la veille, a l'eau de cuisine et aussi de boisson.Au debut nous etions un peu effraye mais la pollution n'existe pas encore ici, c'est juste de la salete 100% naturelle.
A 8 heure le petit dej poisson-grille-riz est servis pour tous le monde. Le poisson peut etre remplace par des oeufs, des tripes de cochon, du singe, du serpent, du tapir et meme du tatou... La gourmandise preferee des boras reste le suri, un gros ver blanc qui s'aspire vivant ou cuit et qui ordinairement vit dans les troncs morts.
La journee continue avec une longue matinee temps libre, activites diverses, peche, chasse pour les hommes, chacra pour les femmes. Lors de la chacra, dans une clairiere de la foret abattue a main d homme, ils cultivent le Yuca de la famille du manioc, la base de leur alimentation, des ananas les plus exquis de la terre et d'autres fruits qui nous etaient completement inconnus comme le guaba (plus comme une guimauve que comme la goyave), l'aguaje, le kaimito : une sorte de jardin potager a l'amazonienne.La nature est tres riche et offre a qui la respecte tout ce dont l'homme a besoin, eau, nourriture et une quantite de matieres premieres naturelles qu'ils savent transformer avec ingeniosite.
A chaque fois que nous voulions aller en balade dans la foret on nous mettait en garde contre les animaux sauvages tels que le tigrio, sorte de panthere ou l'anaconda geant et contre les gouffres a traverser sur des rondins de bois...3 jours plus tard en voyant revenir seul de la foret un petit gars de 8 ans, nous avons craques pour une excursion de reconnaissance, 2 heures de marche et rien que des petits insectes et des rio asseches. Je crois que c'est plus difficile de croiser un tigrio dans ce coin qu'un sanglier dans un foret francaise. Le 2eme et dernier repas de la journee se prend entre 13 et 14 heures, le menu varie peu. L'apres-midi est d'autant plus courte que le soleil se couche a partir de 17 heures et la, la guerre contre les moustiques commence...le mieux est de se refugier dans une moustiquaire...il n'y a malheureusement pas que des moustiques mais il existe une diversite de petits insectes piquants puis grattants qui nous ont pourri la vie pendant 1 mois. A chacun son style de vol furtif, de pose discrete, de boutons et de reaction, rien n'y fait, vetements longs, attirail de repulsion. Difficile a expliquer et nous avons efface les photos de ce spectacle horrifant.
Le moment le plus magique de la journee etait le conseil des sages apres la tombee de la nuit. Les hommes du village se rassemblent dans un coin de la maloca, assis en rond autour d'une petite lampe a essence (ici il n'y pas d'electricite, une fois le soleil couche il fait presque completement nuit dans la maloca). Ils conversent pendant plusieurs heures de leurs projets et de leurs problemes, aides a se concentrer et a trouver l'inspiration par leur rituel de la coca et de l'empiri.
Notre presence a souleve un grand debat sur la disparition de leur culture. Ils sentent le danger et semblent interesses pour developper un projet de sauvegarde du Manguare. Seulement question enregistrement, les choses ne sont pas si simples. D'apres Jose, le curaca, le manguare ne peut pas parler en dehors du contexte d'une fiesta rituelle traditionnelle. Comme nous etions hors saison, il a fallu 4 soirees entieres de discussions intenses pour la mettre au point dans les regles de l'art et sans froisser les esprits.
Pendant que dans le village ou nous dormions s'activait a preparer la fiesta nous avons fait la connaissance du curaca du village voisin, responsable de la maloca a environ ½ heure de marche sur un petit chemin de foret. Il est repute pour sa grande connaissance et son pouvoir et par consequent s'attire les jalousie ou le respect des autres curacas...Il a meme deja participe a des assemblees de chamanes et plusieurs projets educatifs comme l'elaboration de livres en bora pour les ecoles billingues de la region.
Il a tout de suite compris notre projet et n'a pas cache sa joie de recevoir un peu de soutient dans sa lutte quotidienne pour preserver et transmettre sa connaissance de la nature et des hommes.
Il est un des seuls a se battre dans son village.90% se sont converti en 30 ans a la religion evangeliste qui diabolise tous les rituels boras. Apres un message d'alerte pour l'UNESCO nous n'avons pas seulement enregistre des morceaux de manguare mais aussi 2 types de flutes qui peuvent parler et dont il ne reste aujourd'hui que quelques chansons.
Notre sejour chez les Boras s'est termine par une grande fiesta apres 3 petits exemples de Manguare et 5 chansons programmees specialement pour nous, la soiree s'est emballee dans des danses effrenees jusqu'a 5 heure du mat, le lever du soleil. Le baton dans une main et se tenant par l'epaule de l'autre, les hommes forment une chenille qui tourne au centre de la Maloca.
Comme d'habitude les femmes sont un peu exclues. Elles ne font que suivre le rythme derriere les hommes. La soiree fut bien arrosee par nos soins a leur demande et certains ne se sont pas couches avant 4h de l'apres-midi continuant sur la meme lancee. Mais ce cote n'est pas du tout traditionnel.